Nos pas dans les siens … Sur le chemin de Cadoudal
- catherinelebrisene
- il y a 23 heures
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Dernière mise à jour : il y a 7 heures
Pour Catherine.
Sur le chemin de Cadoudal… Oui, j’avais déjà suivi les pierres moussues tapissées de nombrils de Vénus, écouté le vent qui fait se balancer les cimes, senti avec délice l’essence des pins au chas des aiguilles et bu sans jamais en être rassasiée le bleu scintillant de la Ria.
Mais ce jour-là, j’ai parcouru un autre chemin, guidée par une fée.
On y pénètre par un narthex, comme dans tout lieu sacré, simple cercle tracé dans la terre à l’aide d’un bâton ramassé à côté. Cercle magique pour entrer dans le royaume de la fée, qui, peu à peu, au fur et à mesure de notre progression, devient le nôtre.
Nos pas dans les siens, nous, aveugles, commençons à voir. Les jacinthes sauvages teintent d’un bleu immémorial l’herbe haute des talus. Les pins s’assemblent autour de nous. Le ciel verse un souffle transparent à travers les branches. Je marche vers un arbre, sans rien savoir, chavirée par son parfum de bonté pour qui s’approche de lui. Au-delà de l’imaginable.
Mon corps fatigué s’adosse contre son corps à lui, s’effondre à ses pieds. Ses racines montent en moi. Tapi depuis longtemps, chagrin cogne dans la gorge, dans la poitrine, chagrin, chagrin prend voix. Les pins-mères accourent, quatre ou cinq à la fois. Leur tronc rugueux, leur écorce au goût de chocolat, leur tendresse m’enveloppent comme un enfant, égaré là.
Consens… dépose… laisse… consens…
Sur le sable les géants sont tombés de tout leur long, effondrant le talus, emportant la terre, couchant avec eux les ciels de tempête. Ravage à l’intérieur, qui pleure en moi, qui prie ?
Leur tête délicate effleurée par la vague continue de semer un pollen odorant.
Les pins consentent, tout est vie, les insectes s’affairent sur les troncs, simplement à l’horizontale.
Consens… dépose… laisse… consens…
Je cueille la douceur des feuilles à peine écloses aux branches de l’érable, douces comme des mains de nouveau-né dans la conque de mes mains, je souris aux petites crosses de fougère qui se déploient en minuscules vortex, selon la musique de la vie.
Consens… dépose… laisse faire la douceur…
Je passe devant la pierre, sans m’arrêter malgré l’appel de son ventre strié de lichen.
Puis je reviens vers elle, m’allonge sur elle et l’entend : « J’ai forme animale, végétale et même un peu humaine, ronde comme une femme lourde de vie, inattentive au souci du monde, je suis pierre. L’oiseau se réjouit dans sa minuscule gorge, il me fait cortège. Et les tempêtes qui déracinent les arbres peuplent mes rêves de voyages à l’infini. »
Consens… dépose… et rêve à l’infini…
Cette vieillesse arrondie par l’âge pèse de tout son poids. Sur elle, depuis les premiers temps, toute la beauté du monde est apparue, s’est appuyée, s’est reposée, a grandi. C’est un amer qui oriente les papillons. Ne vous y trompez pas, la nuit venue la pierre danse, au lent rythme des étoiles, sans que nul n’y prête attention. A notre insu elle danse.
Consentez… déposez… laissez là danser…
Et le chêne au milieu du chemin… Chêne, un mot banal…, rien à voir avec l’être qui vous barre le chemin, toute puissance et toute intelligence. S’il vous laisse l’approcher, vous verrez ses blessures, vous verrez ses bras qui vous soulèvent de terre, ses racines secrètes dans les caches des résistants, amants de la forêt. Vous le verrez hissant ses voiles à tous les vents et naviguer, comme vous, incandescent.
Consentez… déposez… laissez vous aimer…
Et sautez la barrière, suivez la piste au milieu des ronces et des fougères, trouvez le peuple des pommiers, l’arbre des amoureux, arrivez les yeux fermés au bord d’un étang de jacinthes, accrochez vos vœux aux branches de l’arbre-père, et brûlez comme un buisson d’ajoncs si près du soleil.
Cécile Tricoire le 24.4.24
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